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jeudi 22 décembre 2011

Sur le gouvernement des juges, ou De la tarte à la crème... (II)


II. Pouvoir normatif négatif et autosaisine.

Je vais ici me fonder sur les analyses très éclairantes de Michel Troper sur le gouvernement des juges (je retiens, parmi divers textes qui se recoupent tous plus ou moins, le chapitre 15 de LA théorie du droit, le droit, l’Etat, intitulé « Le bon usage des spectres »). Pourquoi Troper est-il intéressant ? Tout d’abord parce que c’est une analyse originale du concept ; ensuite parce que Troper, dans sa théorie réaliste de l’interprétation, part du principe que les juges sont, en tant qu’interprètes, toujours dotés  d’un pouvoir discrétionnaire par définition. Le gouvernement des juges, selon Troper, devrait toujours être soit un truisme soit une absurdité.

Pourtant Troper accorde un examen sérieux à cette notion. Il faut pour comprendre ce qu’elle veut dire se demander ce qu’est un juge, et ce que veut dire gouverner. Il semble bien que la réponse à la première question soit aisée : les juges ce ne sont pas tant les personnes instituées pour trancher des litiges et dire le droit que les personnes qui sont appelées juges au sein du système juridique. Ainsi, il faut distinguer les considérations organiques et fonctionnelles. Un juge d’un point de vue organique ne le sera pas nécessairement d’un point de vue fonctionnel. Ainsi, on peut énoncer l’idée selon laquelle la Cour suprême, juge de dernier ressort (selon une définition organique) accomplit parfois une fonction non juridictionnelle mais, par exemple, législatrice. La question du gouvernement des juges va donc, au moins en partie, tourner autour de la question de savoir si les juges qui légifèrent sont toujours d’un point de vue fonctionnel des juges (d’un point de vue organique, cela ne se discute pas), et si ce dépassement fonctionnel est légitime ou non.
Mais la question va aussi se porter sur la notion de gouvernement ? En quel sens peut-on dire (à supposer que le dépassement fonctionnel soit avéré) que les juges gouvernent ? Dès lors il faut, dit Troper, distinguer les questions de définition et de qualification : la question est de savoir 1° selon quelle définition l’expression gouvernement des juges est-elle doté de sens ? 2° un tel gouvernement des juges ainsi défini existe-t-il, est-il réalisé et est-il souhaitable qu’il le soit ?
Dès le début, Troper met de côté (et, à mon avis avec assez d’à-propos) la question de la légitimité démocratique en notant qu’une telle question peut éventuellement se poser, mais qu’elle est seconde, et secondaire. En effet, on ne peut parler de caractère non démocratique que si les juges n’ont aucun rapport avec l’élection par le peuple souverain de ses représentants. Or on constate que les juges constitutionnels, dans les états démocratiques, sont nommés par des autorités élues au suffrage universel (direct ou indirect). Ce que veut dire Troper par là, c’est qu’on ne peut définir le gouvernement des juges par le fait que le contrôle de constitutionnalité soit non démocratique, car alors on se prive soi même d’un argument de combat contre ce même gouvernement : autrement dit le critère de détermination de ce qu’est le gouvernement des juges ne peut pas simplement résider dans le seul fait de l’existence d’un contrôle de constitutionalité.
Il faut donc tout d’abord établir ce qu’est le gouvernement des juges, de quel type de puissance les juges sont investis avant de se demander si cette puissance est légitime d’un point de vue démocratique – mais alors il faudra se doter d’autres arguments que ceux tirés du caractère non élu des juges.
On peut distinguer grosso modo trois sens possibles de l’expression gouvernement des juges : un sens latissimo sensu, un sens stricto sensu et un sens strictissimo sensu. Dans le premier sens, qui ne nous intéressera pas vraiment, on parle de gouvernement des juges à chaque fois que des magistrats, qu’il s’agisse de cours constitutionnelles, mais aussi de juges judiciaires ou administratifs, disposent d’un pouvoir politique excessif, et rendent des décisions, sur des sujets sensibles qui sont en mesure de déplaire aux autorités politiques. Mais on voit qu’une telle définition est d’emblée stipulative : on ne peut avancer une telle définition que si l’on établit qu’un tel système existe réellement, et, accessoirement, qu’il n’est pas légitime. En effet soit on établit qu’une telle puissance est dans la nature même de la fonction juridictionnelle, et on reconnait qu’elle existe nécessairement à des degrés divers ; soit on considère que cela n’est pas la fonction naturelle du juge, et alors on est bien obligé de convenir de ce que l’usage de ce pouvoir n’est pas légitime.
Dans le sens stricto sensu : le concept de gouvernement des juges est employé à propos des seuls juges constitutionnels, dès lors qu’ils exercent le pouvoir législatif. Or d’un point de vue tropérien l’exercice de ce pouvoir législatif des juges tient non pas tant au fait que le juge est à même de censurer, c'est-à-dire de priver d’effet une loi votée par le législateur, qu’aux effets normatifs qui s’attachent à l’interprétation de la constitution. Si on adopte la théorie réaliste de l’interprétation (ce que par ailleurs je ne fais pas), alors encore une fois l’existence et la consistance du gouvernement des juges apparaît revêtu d’une grande évidence : dans tout système doté du contrôle de constitutionalité il y a gouvernement des juges. Alors on peut faire jouer le concept selon la plus grande marge d’appréciation dont disposent les juges selon trois critères (je reviendrai sur l’un d’entre eux) : 1) la faculté d’autosaisine – on peut parler de gouvernement des juges lorsque le juge constitutionnel choisit de s’autosaisir d’une question portant sur une loi dont la constitutionalité est incertaine ; 2° le fait pour le juge de recourir à certains éléments tellement vagues de la constitution que toute interprétation est ipso facto une décision (cas typique : le bloc de constitutionnalité dont on peut dire qu’il n’est qu’une création du Conseil constitutionnel) – autrement dit le juge détermine quelles sont les normes de référence ; 3° le fait de statuer en matière constitutionnelle sans rattacher à aucun texte les principes qu’il invoque. Or, même dans le cas très limite des PVC, qui sont de toute manière en nombre très limité, le Conseil constitutionnel a toujours bien pris soin de fonder sur un texte les principes qu’il énonce, même de manière formelle, et on pourrait en dire autant de la Cour suprême américaine.
Enfin l’acception strictissimo sensu sur lequel je passe plus rapidement : le gouvernement des juges, ce serait lorsque les juges sont à même de s’emparer de la totalité du pouvoir (Juvénal : quis custodiet ipsos custodies ?). Les juges constitutionnels ne sont pas seulement des législateurs négatifs, mais des constituants positifs. C’est ici le problème de la supraconstitutionalité qui est invoqué, mais il faut distinguer deux choses : l’idée que les juges, en interprétant la constitution, seraient les vrais constituants ; et l’idée que les juges pourraient matériellement changer la constitution (c'est-à-dire opérer un judicial review de la Constitution en invalidant les clauses de la constitution qu’ils jugeraient contraire à des principes supra-constitutionnels). C’est souvent à ce sujet que l’on parle de gouvernement des juges. Troper cite un argument du doyen Vedel : « si les juges ne gouvernent pas, c’est parce qu’à tout moment  le souverain, à la condition de paraître en majesté comme Constituant, peut, dans une sorte de lit de justice, briser leurs arrêts ». Et il est vrai que certains amendements à la constitution américaine ont été pris à seule fin de renverser une jurisprudence de la CS, ce qu’une simple législation, toujours susceptible de judicial review, n’aurait pas été à même de faire.
Mais on voit que si l’on parle de « gouvernement » des juges dans ce cas là, c’est uniquement pour dire, avec un soupir de soulagement, « vous voyez, le gouvernement des juges cela n’existe pas », c’est un spectre, et les spectres ça fait peur, mais ça n’existe pas. La définition est donc très largement stipulative : on choisit sa définition en fonction de ce qu’on veut démontrer.
            Il apparaît très difficile de doter l’expression « gouvernement des juges » d’un sens objectif, puisque cette expression est toujours définie déjà au sein d’un contexte argumentatif et rhétorique. Ou alors c’est un truisme : oui, l’expression « gouvernement des juges » a un sens, mais ce sens se réduit au constat, assez naïf, que le contrôle de constitutionnalité confère aux autorités nommées juges constitutionnels de très larges pouvoirs normatifs. C’est pourquoi il faut renverser la perspective. Il faut partir du principe que les juges gouvernent, qu’on le veuille ou non, avec à charge pour le théoricien de déterminer en quoi consiste ce gouvernement.
            Il ne saurait s’agir du gouvernement au sens institutionnel français : c’est-à-dire l’instance dotée du pouvoir exécutif et placée sous l’autorité du Premier ministre. Mais par gouvernement, on ne peut entendre non plus le sens très large qui est employé aux Etats-Unis, par quoi on entend le pouvoir politique en général (on parle des branches du gouvernement, on dit que le pouvoir judiciaire est une des branches du gouvernement – le gouvernement au sens français étant désigné en anglais par administration). Si on parle ainsi de gouvernement, alors le sens est beaucoup très général, puisqu’on n’a pas encore déterminé en quoi notre gouvernement des juges est un mode de « gouvernance » différent de celui qui est employé par les autres « branches du gouvernement », et surtout on explique mal en quoi ce mode de gouvernance se distingue du pouvoir habituel du juge (et qui correspond à ses prérogatives en tant que « branche du gouvernement ») : si on parle de gouvernement des juges, c’est nécessairement pour parler de prérogatives inhabituelles voire exorbitantes.
            Une première manière de répondre à cette question est de dire que le « gouvernement » dont il est question, c’est la faculté d’être doté du pouvoir législatif. Le spécificité, si ce n’est le problème tient donc moins à ce qu’il existerait un tel gouvernement, mais au fait qu’il est exercé par les juges. Or on voit d’emblée qu’il est impossible de dire que les juges « gouvernent », c'est-à-dire légifèrent de la même manière que le législateur. De multiples arguments peuvent être avancés dans ce sens : 1° le caractère purement négatif du travail de législation du juge constitutionnel ; 2° son incapacité à s’autosaisir ; 3° que le juge ne se prononce jamais pour des raisons d’opportunité, mais toujours de légalité. Il va de soi que ces critères sont facilement renversables. J’aimerais toutefois m’appesantir sur celui de l’autosaisine. A ma connaissance, il n’y a aucun système juridique où les juges soient dotés de pouvoirs d’auto-saisine.  On peut toutefois considérer 2 cas limites : a) la capacité pour le juge de soulever d’office des moyens non soulevés par les parties (capacité très limitée d’ailleurs) : c’est limite, dans la mesure où le juge fait droit à des éléments que les parties ont, consciemment ou non, omis de présenter à son appréciation ; mais on voit d’un autre côté que ces moyens ne sont invocables que s’ils permettent de régler efficacement un litige ; en aucun cas le juge ne peut se saisir in abstracto de problèmes n’ayant rien à voir avec le litige ; b) selon Troper, la capacité de la Cour suprême américaine à choisir les cas qu’elle va traiter équivaut à une autosaisine négative de fait. On sait qu’à l’issue du procès en appel (en droit fédéral) ou du procès devant les Cours de dernier ressort des Etats (en droit étatique), les parties peuvent effectuer un recours devant la Cour suprême, dès lors qu’elles estiment que la décision qui leur est rendue viole sur un point ou un autre un point de droit fédéral (la CS n’ayant pas à contrôler la conformité des jugements des cours d’Etats au droit des états) : ce recours prend la forme d’une pétition de certiorari ; or la Cour suprême n’est nullement obligée de faire droit au recours lui-même. Il ne s’agit même pas d’une déclaration d’irrecevabilité ; seulement la Cour suprême peut refuser d’accorder le writ of certiorari qui permettra à l’affaire d’être jugée devant elle. Autrement dit, la Cour suprême choisit les cas qu’elle veut bien traiter, car elle considère qu’elle n’a à traiter que les cas les plus importants, et qu’elle n’a à intervenir lorsque la décision de la cour inférieure pose un problème en droit (ce qui ne veut pas dire que la CS n’accepte de juger que les affaires dont elle considère dès le départ qu’elles ont été mal réglées en droit par la Cour inférieure ; du reste la CS rejuge toute l’affaire). Et il n’y a là aucun déni de justice, puisque l’affaire a déjà été réglée en droit au niveau des cours d’appels, qui agissent comme des cours de dernier ressort. Or force est de noter qu’en ce qui concerne les cas traités par les Cour d’appel fédérales, le pourcentage de certiorari accordé par la CS est infime. En 2004, 0,11 % des cas traités par les cours d’appel fédérales ont été révisées par la CS. (Certes, ce chiffre porte sur l’ensemble des cas traités par les cours d’appel fédérales, 56300 à peu près, mais rien ne dit que tous ces cas aient fait l’objet d’une pétition de certiorari par l’une des parties : le taux de sélection est donc en réalité supérieur, et avoisine sans doute les 1%).
Le chiffre des certiorari accordés par la CS est donc bas. Doit-on y voir la marque d’une autosaisine négative ?  Je ne le crois pas. Il ne faut pas oublier que la CS comprend 9 membres, et que les cours d’appel ont un rôle très important aux Etats Unis, elles centralisent le contentieux, et elles ont une fonction juridictionnelle capitale (voir Karl Llewellyn, The Common Law Tradition !). Dès lors, il ne me semble pas abusif que la CS ne connaisse que des affaires les plus significatives d’un point de vue juridique, étant donné que les Cours d’Appel fédérales opèrent déjà une résolution en droit des litiges les plus simples. Ensuite, la CS est toujours au moins formellement saisie : il faut qu’un recours soit intenté. (En ce sens elle agit toujours comme juridiction d’appel de niveau supérieur, même si en fin de compte, elle ne rend que des arrêts de principe – ce qu’elle voudrait bien faire croire, d’ailleurs).  Mettons qu’une Cour d’appel fédéral rende un arrêt qui ne plaît pas à la Cour Suprême, si l’une des parties concernées n’intente pas de recours devant elle, la CS est impuissante. Alors certes elle peut choisir. Elle peut fort bien dire, pour certains cas : écoutez l’enjeu est trop faible, nous ne rendons que des arrêts de principe, tenez-vous en à la décision de la Cour d’appel fédéral – et encore une fois, il faut bien dire que ce n’est pas un déni de justice ! Le refus d’accorder le writ de certiorari n’est certes pas la même chose qu’un jugement d’irrecevabilité (qui suppose que l’affaire soit portée devant la Cour, ce qui n’est pas le cas), mais doit se comprendre à l’image d’un recours qui n’est pas jugé recevable. De même que n’importe quelle cour peut refuser de connaître d’un litige en raison de son incompétence, ou de l’irrecevabilité de la requête, de même la CS peut se déclarer incompétente pour les cas d’espèce. Il s’agit donc d’une hétérosaisine sur laquelle la CS ne jouit que d’un pouvoir négatif, un pouvoir de sélection.
            Voilà pour l’autosaisine, qui me semble un argument fallacieux. Alors comment Troper arrive-t-il à définir le gouvernement des juges ? Il le fait en recourant aux présupposés de la Théorie réaliste de l’interprétation. Les juges gouvernent, tous les juges gouvernent, dès lors qu’ils sont dotés du pouvoir de dire la norme. Alors certes ce pouvoir est enserré dans un certains nombre de contraintes, qui sont des contraintes internes au système, sans être des contraintes normatives. C’est pourquoi Troper en arrive à une définition du gouvernement des juges en termes de pouvoir normatif positif, c'est-à-dire dans le pouvoir de créer des normes générales : en réalité, le juge constitutionnel n’est pas seulement législateur ou co-législateur, il est co-constituant. Lorsqu’il contrôle la validité des lois de révision (cas de supraconstitutionnalité), il est co-constituant négatif, mais lorsqu’il interprète la constitution, il est co-constituant positif. Lorsque le juge constitutionnel invalide une loi, il est bien législateur négatif, mais il n’est législateur positif que lorsqu’il interprète la loi elle-même. Mais il n’y a là rien d’aberrant, c’est l’office même du juge.
            Evidemment, une telle définition du gouvernement des juges ne vaut que si on en fait un synonyme du pouvoir discrétionnaire. Certes, cette définition, contrairement aux autres, n’est pas stipulative ; il demeure qu’elle fait fond sur des présupposés épistémologiques très lourds qui peuvent fort bien être critiqués. Pour ma part je considère que les normes constitutionnelles ou législatives existent, d’un point de vue normatif, avant leur interprétation par le juge ; dès lors le contrôle de constitutionnalité des lois a deux effets normatifs : 1° un effet d’invalidation d’une norme législative (qui était en vigueur, et qui cesse de l’être) ; 2° une fixation du sens de la constitution. Mais cela ne veut pas du tout dire que les juges gouvernent, légifèrent ou sont dotés du pouvoir constituant. Cela veut dire qu’ils font usage d’un pouvoir normatif sui generis. Pourquoi ? Eh bien parce que ces éléments de normativité qui se déduisent de la censure constitutionnelle ou du judicial review n’ont de force que négative, et ce à deux points de vue : 1° du point de vue du pouvoir normatif négatif, c'est-à-dire le fait que les juges annulent une norme antérieure : au moment T il y avait une norme en vigueur, au moment T’ la norme n’est plus en vigueur, avec, pourquoi pas !, effet rétroactif. Mais ce n’est pas tout, et c’est cela le plus important. Le juge qui interprète la constitution dans le cadre du judicial review se contente de dire quel comportement du législateur est incompatible avec la constitution ; le juge, sauf dans des cas très rares, ne dit pas quelle serait la loi que le législateur devrait prendre (de même que ce n’est que très exceptionnellement que le juge civil peut réécrire un contrat). Le juge donne certes une interprétation de la Constitution, qui en fixe le sens, mais ce faisant il ne fait qu’indiquer quelles sont les interprétations de la constitution qui, à son avis, sont incompatibles avec lui. On ne peut interpréter l’article 1 section 9 de la Constitution comme autorisant l’Exécutif à suspendre l’habeas corpus pour les détenus de Guantanamo. Mais le juge ne dit pas comment il faut interpréter la constitution, ou plutôt par quel processus de réalisation des objectifs constitutionnels dans la loi la meilleure interprétation de la constitution pourrait être mise en œuvre par le législateur. A mon avis il fait aussi peu de sens de dire que le juge constitutionnel légifère que de dire que le juge administratif administre ou règlemente : lorsque ce dernier annule un acte réglementaire pour excès de pouvoir, il le fait certes au nom d’une interprétation de la légalité qui peut paraître tendancieuse, mais il ne réglemente pas : il ne dit pas quel règlement aurait du prendre le ministre ou quel acte aurait du prendre l’administration (souvent, il apparaît que il aurait fallu ne pas en prendre du tout!). Le juge ne peut pas réglementer : réglementer, cela suppose disposer d’une administration, avoir une autorité sur les préfets, etc. Le juge administratif, en annulant un acte, ne règlemente ni n’administre ; or structurellement, il n’y a rien de différent dans le fait d’annuler un acte réglementaire et dans le fait d’annuler une loi, à par le fait que ces décisions n’ont pas le même poids politique.
Alors certes, en général, le pouvoir normatif du juge constitutionnel est positif : le juge délivre, par voie précédentielle (ou, si vous préférez, jurisprudentielle), une norme constitutionnelle générale, de même que le juge administre dégage des principes généraux du droit ; mais vis-à-vis du législateur, le juge ne fait, tel Socrate avec le jeune esclave, qu’indiquer les erreurs, et non pas montrer la vérité. – Bien sûr, comme nous le verrons, il n’y a en matière constitutionnelle ni erreur ni vérité ! Mais pour l’instant c’est secondaire. Cette conception ne suppose d’ailleurs nullement que l’interprétation constitutionnelle de la CS soit la bonne, ou soit la meilleure possible. Cette interprétation peut être désastreuse (cf. Lochner) ; mais que cette interprétation soit bonne ou non ne change rien à l’affaire : on ne peut pas parler de gouvernement des juges seulement quand ça nous arrange, c'est-à-dire seulement lorsque nous pensons, même à raison, que les juges ont eu tort.

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