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jeudi 17 août 2017

CE, ord., XX août 2017, Cne de Dannemarie

Août 2017: plongée dans la torpeur estivale, la France est soudain agitée par la présence, dans les rues de la riante commune de Dannemarie (Haut-Rhin) de panneaux en contreplaqués représentant des silhouettes de femmes dans des poses lascives. Le juge des référés du Tribunal administratif de Strasbourg a, par une ordonnance du 9 août, ordonné au maire de faire retirer ces panneaux. Celui-ci a relevé appel de cette ordonnance.

Droitobjectif s'est procuré un brouillon de la décision du Conseil d'Etat. Le voici en exclusivité mondiale, voire universelle. [NB. C'est un fake, hein]

Conseil d’Etat
N°413356
ECLI:FR:CEORD:2017:413256.20171708
Publié au recueil Lebon

Juge des référés

Lecture du jeudi 17 août 2017


REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

                             Vu la procédure suivante :

                   L’association « Les Effronté-e-s » a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, d’ordonner au maire de Dannemarie de retirer de l’espace public les panneaux en contreplaqué ayant l’apparence de silhouettes féminines qui y étaient apposées depuis le mois de juin 2017. Par une ordonnance n°1703922 du 9 août 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a fait droit à cette demande.

                        Par un recours enregistré le 12 août 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, la commune de Dannemarie demande au juge des référés du Conseil d’État, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :
                                  
                        1°) d’annuler cette ordonnance ;

                        2°) de rejeter la demande de première instance de l’association « Les Effronté-e-s » ;

                        3°) de mettre à la charge de l’association « Les Effronté-e-s » la somme de 3000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

                        Elle soutient que :

                        - la requête est irrecevable pour défaut de qualité pour agir dès lors, d’une part, que les statuts de l’association « Les Effronté-e-s » ne désigne pas l’organe autorisé à agir en justice et, d’autre part, que l’association ne justifie pas être régulièrement déclarée ;
                  - l’association « Les Effronté-e-s » ne justifie d’aucune circonstance rendant nécessaire l’intervention immédiate du juge des référés ;
                    - il n’existe aucune atteinte grave et manifeste à une liberté fondamentale ;
                    - les prétentions de l’association « Les Effronté-e-s » se heurtent à la liberté d’expression qui doit être appréciée d’autant plus largement qu’il s’agit d’œuvres artistiques.

                        Par un mémoire en défense, enregistré le 16 août 2017, l’association « Les Effronté-e-s » conclut au rejet de la requête. Elle soutient que :
                       
                        - les panneaux en cause, qui confinent la femme à ses attributs sexuels ou à son rôle reproductif, promeuvent l’infériorité du statut de la femme, qui est réduite à des stéréotypes inspirés du modèle archaïque dominant ;
               - la représentation de la femme véhiculée par ces panneaux porte une atteinte grave au principe d’égalité entre les femmes et les hommes et à la dignité de la personne humaine ;
              - en outre, en encourageant une conception dévalorisante de la femme, elle favorise les violences à leur encontre ;
                  - le comportement de la commune de Dannemarie et de son maire est ainsi manifestement contraire aux dispositions de la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

                        Vu les autres pièces du dossier ;

                        Vu :
                        - la Constitution
                        - la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 ;
                        - le code de justice administrative.


                        Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, le maire de Dannemarie et, d’autre part, les représentants de l’association « Les Effronté-e-s » ;

                        Vu le procès-verbal de l’audience publique du 17 août 2017 à 10h au cours de laquelle ont été entendus :

                    - Me Basmati, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, avocat de la commune de Dannemarie ;
                    - Me Tompère, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, avocat de l’association « Les Effronté-e-s » ;
                       
et à l’issue de laquelle le juge des référés a clos l’instruction ;


                        1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures » ;
           
                        2. Considérant que l’association « Les Effronté-e-s » a demandé au juge des référés du Tribunal administratif de Strasbourg d’ordonner, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, au maire de Dannemarie de retirer de l’espace public les panneaux en contreplaqué ayant l’apparence de silhouettes féminines qui y étaient apposées ; que, par une ordonnance n°1703922 du 9 août 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a fait droit à cette demande ; que la commune de Dannemarie relève appel de cette ordonnance ;

                        Sans qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par la commune de Dannemarie ;

                        3. Considérant qu’il résulte de l’instruction et des débats à l’audience que le maire de Dannemarie a décidé l’installation, au mois de juin 2017, de panneaux, au nombre d’environ 125, en bordure des voies publiques et dans les autres espaces publics de la commune, dans le cadre d’une opération intitulée « 2017 Dannemarie année de la femme » ; que ces panneaux figurent des accessoires ou des éléments du corps féminin, principalement des lèvres de femmes, ainsi que, dans 65 cas, des silhouettes féminines ; que les éléments du corps féminins, notamment les bouches, sont grossièrement déformés et les femmes sont représentées d’une manière caricaturale ;

                        4. Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes : « L’État et les collectivités territoriales, ainsi que leurs établissements publics, mettent en œuvre une politique pour l'égalité entre les femmes et les hommes selon une approche intégrée. (…) La politique pour l'égalité entre les femmes et les hommes comporte notamment : 1° Des actions de prévention et de protection permettant de lutter contre les violences faites aux femmes et les atteintes à leur dignité ; (…) 3° Des actions destinées à prévenir et à lutter contre les stéréotypes sexistes (…) » ;

                        5. Considérant qu’au regard de ces dispositions, le caractère grossier et sexiste des représentations litigieuses est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision du maire de Dannemarie de procéder à leur installation ; que, toutefois, cette décision ne constitue pas en elle-même une illégalité manifeste portant gravement atteinte à une liberté fondamentale qu’il appartiendrait au juge administratif des référés, saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, de faire cesser ;
  
                        6. Considérant, par ailleurs, que l’atteinte au principe d’égalité entre les hommes et les femmes ne constitue pas en elle-même un trouble à l’ordre public ; que, à supposer même que les représentations litigieuses causassent un trouble à l’ordre public qu’il reviendrait, en tout état de cause, au maire lui-même, par l’usage de ses pouvoirs de police, de prévenir ou de faire cesser, il ne saurait entrer dans l’office du juge administratif des référés, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, d’ordonner au maire de prendre des mesures en ce sens, en l’absence de toute atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale qui résulterait de son abstention ;

                        7. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la commune de Dannemarie est fondée à soutenir que c’est à tort que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a fait droit à la demande de l’association « Les Effronté-e-s » ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions de la commune de Dannemarie présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

  
O R D O N N E :
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Article 1er : L’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg en date du 9 août 2017 est annulée.

Article 2 : La demande présentée par l’association « Les Effronté-e-s » devant le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de la commune de Dannemarie présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la commune de Dannemarie et à l’association « Les Effronté-e-s ».