Un blog sur l'actualité du droit, de la philosophie, de la philosophie du droit et que sais-je encore ?


mercredi 23 octobre 2019

Pourquoi je ne signerai pas la pétition de soutien à l’agrégation


Ayant eu la chance de devenir professeur par cette voie, je suis naturellement attaché au concours d’agrégation. Le nombre de postes mis au concours de droit public en 2020 est nettement insuffisant, et l’on peut espérer que les Universités qui ne l’ont pas fait ouvriront des postes très prochainement. Je suis en plein accord avec les auteurs du texte de la pétition sur la nécessité de préserver la diversité des voies d’accès au corps des professeurs d’université, et de maintenir un concours qui me semble présenter deux avantages importants : il constitue un tempérament de l’endogamie (qui doit cependant être nuancé, v. infra) ; il permet à de jeunes docteurs d’obtenir un poste d’enseignant chercheur titulaire assez tôt dans la carrière, alors que le nombre de postes de maîtres de conférences est en raréfaction constante depuis cinq ans. La situation actuelle, marquée par un gel de plus en plus fréquent des postes libérés par la mutation ou le départ en retraite de leurs titulaires, voire par la suppression pure et simple de postes – dans chacun des deux corps d’enseignants-chercheurs universitaires – aboutit, comme l’a fort bien dit l'actuelle présidente du concours de droit public, à sacrifier une génération entière de jeunes chercheurs. On ne saurait s’en satisfaire ; on ne doit pas s’y résigner. 

Cependant, certains des arguments mis en avant par les auteurs de la pétition ne peuvent recevoir ma pleine adhésion. (Je passe sur le fait que cinq des six auteurs exercent ou exerçaient jusqu’à récemment dans des universités parisiennes qui, sauf exception récente, n’ont jamais recruté par la voie du concours d’agrégation). Le premier argument qui me semble contestable consiste à dévaloriser inutilement la voie d’accès au corps des professeurs par le biais du 46 1° (c’est-à-dire sur une liste de qualification établie par le CNU parmi les titulaires d’une habilitation à diriger les recherches), qui est pourtant la voie de recrutement la plus courante dans les autres disciplines – et qui, qualification nationale en moins, correspond à ce qui se fait dans la plupart des pays étrangers. On ne saurait affirmer sérieusement que passer quatre leçons orales, dont une constitue avant tout une épreuve d’endurance dont le support est rarement rédigé par le candidat, permet de former des enseignants plus aguerris que les professeurs recrutés par la voie du 46 1°, qui ont souvent enseigné pendant 10 ou 15 ans avant d’accéder au corps des professeurs. Le mépris, sans nul doute involontaire, qui sous-tend les propos des auteurs du texte est insupportable. De manière générale, l’idée selon laquelle le recrutement du 46 1° devrait essentiellement servir à repêcher les candidats qui ont échoué au concours – alors qu’il s’agit de promouvoir des enseignants-chercheurs en raison de la qualité de leurs travaux scientifiques, ce que la qualification par le CNU garantit – laisse subsister l’idée selon laquelle cette voie d’accès est en quelque sorte un concours de seconde zone. 

Le second argument tient à faire du concours un modèle d’impartialité, la réalisation même de l’idéal méritocratique républicain ; au contraire le recrutement par la voie du 46 1° inciterait au localisme, voire au clientélisme. Il est vrai que l’ancienne « voie longue » (le 46 3°, qui perdure mais est de moins en moins usité) était essentiellement un outil de promotion locale ; il est également vrai que de nombreuses universités, hélas, continuent d’envisager de la sorte le recrutement par le 46 1°. Cependant il convient d’effectuer plusieurs remarques. Tout d'abord, il convient de noter que le format du concours, qui repose exclusivement sur quatre épreuves orales, n’est pas de nature à faire taire les critiques qui (de manière justifiée ou non) y voient davantage un exercice de cooptation  qu’une véritable promotion du mérite républicain. Ensuite, contrairement à ce qui est parfois affirmé, l’agrégation n’est pas un rempart absolu contre le localisme. Il arrive très fréquemment que des postes mis au concours soient officieusement fléchés pour tel ou tel candidat, de sorte que si un candidat mieux classé lui a l’impudence de vouloir être affecté dans l’université en question, on lui fera comprendre qu’il n’y sera pas bien reçu. Enfin, c’est précisément la dévalorisation constante du recrutement au 46 1° qui aboutit à en faire une sorte de voie longue 2.0, alors qu’il devrait s’agir d’une voie d’accès d’égale valeur à celle de l’agrégation. Un changement des mentalités est ici nécessaire. Un changement des règles également.

Nul ne contestera que le concours d’agrégation apporte un sang neuf aux universités, et que lorsque les jeunes professeurs s’y investissent, les universités en sortent clairement gagnantes, en termes de vitalité scientifique et de participation à la vie universitaire. Mais il arrive trop fréquemment que les agrégés, en particulier ceux auxquels leur classement n’a pas permis d’être affectés dans l’université de leurs vœux, se transforment en « turbo profs », ne prennent pas part à la vie de l’université, se contentent, quant à leurs obligations statutaires, du strict minimum et repartent le plus vite possible vers une université plus proche de la grande métropole où ils résident.  Je sais bien qu’il y a des contraintes personnelles et familiales qui entrent en jeu ; loin de moi l’idée de blâmer les collègues concernés. Mais on admettra que ce comportement n’est pas la meilleure publicité pour l’agrégation et que les universités, échaudées par de nombreuses expériences décevantes, ne souhaitent plus mettre de postes au concours. 

Que faire ? Les auteurs de la pétition ont raison sur un point essentiel: le localisme est une plaie de l’Université française. Ce problème, dans les facultés de droit, est particulièrement aigu en ce qui concerne l’accès au corps des maîtres de conférences. Ainsi, certes, dans les sciences économiques, le recrutement des professeurs par la voie du 46-1° est endogame à 45 %, mais il ne faut pas oublier que les maîtres de conférences y sont exorecrutés à plus de 90% (p. 28 du Rapport HCERES du 13 juin 2019) : la mobilité a déjà eu lieu après la thèse, ce qui n’absout pas de ses péchés la promotion locale au professorat, mais garantit au moins aux jeunes docteurs une certaine égalité dans l’accès à la profession universitaire. Dans les disciplines juridiques, l’endorecrutement des maîtres de conférences est beaucoup plus important — difficile à mesurer cependant dès lors que les statistiques disponibles sur le site du ministère sont réalisées par grands blocs de disciplines —, ce qui prive les candidats extérieurs, en particulier ceux qui proviennent des universités qui ne pratiquent pas le localisme, de toute perspective de recrutement. Lorsque cette endogamie est généralisée aux deux corps d’enseignant-chercheurs, il est inévitable que le mandarinat et le clientélisme prennent le dessus.

C’est pourquoi il est nécessaire que nous modifions nos pratiques et que nous adoptions des règles venant limiter les possibilités d’endorecrutement. Des pistes existent: contingentement du nombre de postes de maîtres de conférences susceptibles d’être pourvus par le recrutement de candidats ayant réalisé leur thèse dans l'établissement de recrutement ; renforcement de la proportion de membres extérieurs dans les comités de sélection ; mise en œuvre des critères d’impartialité plus clairs que ceux qui résultent de la jurisprudence du Conseil d’Etat (CE, 17 octobre 2016, N°386400) et qui font l’objet d’une interprétation souvent généreuse au sein des comités de sélection... une réflexion collective s’impose et une évolution des pratiques est nécessaire. Quant aux Universités parisiennes (ainsi que certaines « grandes » universités de province), elles devraient repenser radicalement leur positionnement au sujet de l’agrégation, qu’elles sont les premières à défendre mais dont elles contribuent pour une large part à accélérer le déclin.

En tout cas croire que la survie du concours d’agrégation permettrait à elle seule de résoudre les maux de l’Université française  en général et des facultés de droit en particulier est largement illusoire.

Mathieu Carpentier
Professeur de droit public
Université Toulouse 1 Capitole