Ma femme m'a posé l'autre jour la question suivante: "Supposons qu'un citoyen américain (ou une citoyenne américaine) ambassadeur ou diplomate en poste dans un pays étranger, ait, avec son épouse (ou son époux), également citoyen des Etats-Unis, un enfant. Supposons ensuite que cet enfant soit né dans les murs de l'ambassade, et pas dans un quelconque hôpital du pays hôte. Supposons enfin que ledit enfant, ayant résidé plus de quatorze ans aux Etats-Unis, se décide, après son trente-cinquième anniversaire, de se présenter à l'élection présidentielle. Est-il éligible?"
Je n'ai pas vraiment su quoi répondre. Pourquoi ?
A vrai dire la deuxième présupposition semble d'emblée inutile, puisque le droit international a depuis longtemps renoncé à la fiction de l'extraterritorialité pour les ambassades. Autrement dit, l'existence d'une mission diplomatique d'un pays X dans un pays Y n'entraîne pas qu'elle doive être considérée comme un morceau du territoire national du pays X (alla Vatican): le territoire occupé par la mission diplomatique est réputé appartenir au territoire national de Y, qui est astreint à un certain nombre d'obligations de droit international (inviolabilité, and so on).
Mais le cas du Sénateur McCain (né dans la Zone du Canal de Panama, candidat à la présidentielle de 2008) à nous invite à fair preuve de prudence.
Le coeur du problème est le suivant. L'Article II, section 1 de la Constitution américaine prévoit que ne peut être éligible au poste de Président (et, ajoute le 12e amendement de Vice-Président) qu'un natural born citizen (de plus de 35 ans, ayant résidé 14 ans etc.). Rien de permet de décider ce que les Framers entendaient par natural born. Il y a à peu près consensus sur le cas d'un individu né sur le sol américain de parents américains, et même d'un seul parent américain : il est un natural born citizen. (Donc la controverse autour de l'éligibilité du Président Obama est assez absurde).
Au delà, on peut envisager que "natural-born" fasse référence à la pratique du droit du sol intégral pratiqué par les Etats-Unis: tout enfant né sur le sol américain, quelle que soit la nationalité de ses parents, serait un natural-born citizen. Cette option est disputée. La question de savoir si elle est exacte ou non n'est pas vraiment importante ici.
En revanche, la question qui se pose est de savoir si natural born ainsi compris peut être étendu à l'ensemble des individus qui sont américains dès la naissance (par opposition aux naturalisés) : autrement dit les citoyens américains nés américains à l'étranger (de parents américains, ou au moins d'un parent américain, moyennant certaines conditions que je passe) peuvent-ils prétendre à la magistrature suprême ?
Sachant que la Cour Suprême n'a jamais eu à connaître d'une contestation de l'élection d'un président sur la base de la Natural born citizen clause, il est difficile de répondre à cette question. Mais la réponse est généralement négative. "Natural-born" ne se confond pas avec "citizen by birth", tel que défini au Titre 8, §1401 de l'US Code (et qui comprend dans les "citizens by birth" les citoyens nés à l'étranger de parents américains). Suivant la méthode d'interprétation que l'on choisit, on arrive généralement à des résultats assez différents. Et à vrai dire, la Cour suprême a une jurisprudence assez contradictoire sur cette question, affirmant tantôt que "natural-born" inclut les citoyens américains nés américains à l'étranger, tantôt que ce n'est pas le cas. Il est vrai que la question lui était posée en dehors de tout lien avec l'éligibilité à la présidence. Mais quand le papa de Mitt Romney, George Romney, qui était né au Mexique de parents américains, a souhaité se présenter à la présidentielle de 1968, la question de son éligibilité s'est posée, précisément parce que personne ne sait ce que veut dire "natural-born".
Cependant, je vais partir du principe, pour donner du sens à la question de ma femme, que la natural-born citizen clause suppose la naissance sur le territoire américain (ou les territoires sur lesquels les EU exercent une souveraineté de fait, tels que Puerto Rico ou Guam). Il semble donc que la réponse à sa question soit non. Notre brave fils d'ambassadeur, bien que né à l'intérieur de l'ambassade, n'en est pas pour autant né sur le territoire américain, il n'est donc pas un natural born citizen.
Les choses sont toutefois plus compliquées. Le cas du sénateur McCain en est un exemple. Celui-ci est né en 1936 dans la Zone du Canal de Panama (et non pas à Panama même, même si ce point est disputé, ce qui a de l'importance pour l'objet qui est le nôtre). Ses parents étaient tous les deux américains. Il ne fait aucun doute qu'il est un citoyen américain (par le sang). Mais était-il éligible à la présidence ? Il se trouve que l'article 1403 du titre 8 de l'US Code en son alinéa 1 que toute personne née d'un parent américain ou de deux parents américains dans la zone du canal de Panama "est déclaré être un citoyen des Etats-Unis". Il y a un truc bizarre là-dedans, c'est que, dans le cas de McCain, dont les parents étaient tous les deux américains, le §1403 al. 1 est redondant avec le §1401(c). Toujours est-il qu'il a été argué par les partisans de McCain que, quand bien même la natural-born clause exclurait les citoyens américains nés américains à l'étranger, le §1403 ne lui confèrerait pas moins la natural-born citizenship de manière rétroactive. Par une espèce de fiction juridique, McCain, né dans la zone du canal de Panama (et non pas dans la république de Panama) n'en serait pas moins né sur le "territoire" des Etats-Unis.
C'est ce qui m'amène à penser que la question du fils de diplomate né dans l'ambassade peut être novée à la lumière du cas McCain... Mais les lumières des spécialistes de droit constitutionnel américain (et, pourquoi pas, de droit international public) sont les bienvenues.
Il est vrai que la doctrine américaine, consciente de l'injustice que fait naître l'interprétation très restrictive de la natural born clause (comme excluant les citoyens nés américains, mais à l'étranger), a tendance à arguer en faveur d'une interprétation plus large, confondant "natural-born" avec "citizen by birth" du § 1401. En gros, natural-born, recouvrirait à la fois le jus soli et le jus sanguinis. Le cas des naturalisés (autre injustice) fait en revanche nettement moins l'unanimité: il est évident que natural-born s'oppose à "naturalisé", mais pour certains auteurs, il serait bon de réécrire l'article 2 de la Constitution (voir ici, par exemple). Mais c'est nettement obiter -- for the present purpose!
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