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mercredi 26 juin 2013

Ce blog parle de nouveau de mariage pour tous (en Californie)

Vous savez déjà que la Cour suprême américaine a rendu le 26 juin deux décisions très attendues. Dans United States v. Windsor, la Cour a confirmé l'arrêt de la Cour d'appel du Second Circuit déclarant inconstitutionnel la section 3 du DOMA Act. Cette section indiquait que les avantages (en matière d'impôts, de successions, etc.) que le droit fédéral reconnaît au couples mariés ne devaient pas s'appliquer aux couples de même sexe, quand bien même ceux-ci auraient dûment convolé en justes noces dans les Etats reconnaissant le "mariage pour tous". Selon la Cour, la section 3 est contraire à la Due Process Clause du cinquième amendement. On peut résumer ainsi l'opinion : dès lors qu'un mariage est légal dans un Etat, la reconnaissance de ce mariage confère au couple marié un statut et une dignité, que le gouvernement fédéral ne peut leur ôter. Le DOMA Act crée de facto une inégalité entre des cas qui ne devraient pas être inégaux (puisque les Etats les reconnaissent comme égaux). Je cite la décision : "la liberté protégée par la Due Process Clause du Cinquième amendement contient en elle l'interdiction de dénier à toute personne l'égale protection des lois" (p. 25). Par conséquent, dès lors qu'un couple est légalement marié, il a un droit constitutionnel à ne pas voir son union considérée comme un mariage de seconde zone.


Evidemment sur un arrêt très politisé comme celui-ci, on retrouve l'habituelle répartition 5-4 : la majorité se compose des quatre juges progressistes (Kagan, Sotomayor, Ginsburg, Breyer) auxquels se joint l'habituel juge charnière (le libertarien incohérent Kennedy), qui rédige l'opinion ; les quatre conservateurs (Roberts, Alito, Scalia, Thomas) ne sont pas d'accord, pour des raisons diverses.  

Plus intéressante pour le juriste est, à mon avis, la décision Hollingsworth v. Perry rendue le même jour, toujours à une majorité 5-4, mais différente de la précédente (Roberts, Scalia, Ginsburg, Kagan, Breyer pour; Thomas, Alito, Kennedy, Sotomayor contre). Il faut bien voir que la décision US v. Windsor, que l'on vient de commenter, évite comme la peste la question de savoir si une loi d'Etat limitant le mariage aux couples de sexe différent est ou non conforme à la Constitution. Comme l'écrit le Président Roberts, dans son opinion dissidente sous US v. Windsor, "il est possible que nous soyons dans le futur appelés à résoudre les contestations des définitions du mariage présentes dans les lois d'Etat et affectant les couples du même sexes. Cette question, cependant, n'est pas la nôtre dans la présente affaire" (p. 3-4 de l'opinion dissidente). L'arrêt Windsor évite soigneusement la question de savoir s'il y a pour tous un droit égal au mariage reconnu par la constitution et se contente d'affirmer que si un mariage est légal dans un Etat, alors les époux ont un droit constitutionnel à ce qu'il soit reconnu sans discrimination par le gouvernement fédéral. Cette solution un peu équilibriste est déjà très critiquée, mais, comme je l'indiquerai à la fin de ce texte, il me semble qu'elle est la plus raisonnable. Le fait que ce soit Kennedy (et non un des juges progressistes) qui rédige l'opinion est d'ailleurs assez révélateur d'une solution de consensus a minima, d'autant plus la section 2 du DOMA, qui fait interdiction aux cours de contraindre les Etats n'ouvrant pas le mariage pour tous à reconnaître les unions de couples du même sexe célébrées dans d'autres Etats, n'est pas examinée par la Cour.

La question de l'inconstitutionnalité des lois d'Etat anti-mariage pour tous était posée aux juges dans Hollingsworth v. Perry,  et les juges ont tout simplement préféré... ne pas y répondre. La décision, tout comme l'opinion dissidente d'ailleurs, est un monument d'habileté rhétorique, et se concentrent exclusivement sur un point important de procédure, sans jamais aborder l'affaire au fond.  

Il était question de savoir si la fameuse Proposition 8 (adoptée, conformément à une possibilité ouverte par la Constitution de Californie, à la suite d'un référendum d'initiative populaire), qui limite les mariages aux couples de sexes différents, est ou non conforme à la Constitution fédérale. Après l'adoption du référendum, des couples de même sexe avaient contesté la conformité de la Proposition 8 à la Constitution fédérale devant une juridiction fédérale (une District Court). L'exécutif de Californie, officiellement visé par l'action en justice, avait déclaré ne pas défendre la loi (qu'elle continuait cependant à appliquer); c'est la raison pour laquelle la District Court avait accepté d'entendre les arguments des responsables de l'initiative ayant donné lieu au référendum. La District Court ayant déclaré la Proposition 8 contraire à la Constitution fédérale, ces responsables décidèrent de former un recours devant la Cour d'appel pour le Neuvième Circuit : étant donné que les requérants avaient gagné et que l'exécutif de Californie ne souhaitait pas défendre la Proposition 8, c'était, conceptuellement, la seule possibilité d'appel. 

Or selon la Cour suprême, la Cour d'appel a eu tort de déclarer recevable le recours des auteurs de l'initiative, qui, par définition, ne sont pas des autorités publiques et qui, de ce fait, n'avaient aucun intérêt à agir (standing) : n'étant pas visés par l'action initiale, et ne pouvant être envisagés comme des représentants de l'Etat de Californie, ils ne peuvent interjeter appel contre un jugement prononcé à l'occasion d'une action à laquelle ils ne sont pas partie. 

La Cour d'appel avait, sur le fond, confirmé le jugement de la District Court. Et c'est naturellement que les auteurs de l'initiative avaient formé un recours devant la juridiction de dernier ressort, la Cour suprême. Or, s'ils n'ont pas d'intérêt à agir devant la Cour d'appel, ils n'en ont -- a fortiori -- pas davantage devant la Cour suprême. C'est pourquoi, l'arrêt de la Cour d'appel est vidé (vacated), et l'affaire est renvoyée devant cette dernière, avec pour instruction de déclarer le recours irrecevable. 

Le résultat est que, de ce fait, le jugement initial de la District Court devient définitif. La Proposition 8 est donc inapplicable, et des couples de même sexe vont pouvoir se marier en Californie. En revanche, nulle part la Cour (pas plus que l'opinion dissidente, qui conteste seulement que les requérants n'aient pas intérêt à agir) ne se prononce sur la question de savoir si la District Court et la Cour d'Appel après elle ont eu raison d'interpréter la Constitution comme elles l'ont fait. Le statut des lois analogues à la Proposition 8 dans les autres Etats n'est donc absolument pas réglé. 

Ce faisant la Cour peut s'offrir un moment de répit et éviter de rendre deux décisions très politisées le même jour. Les restrictions apportées par le gouvernement fédéral aux avantages dont devraient jouir les couples de même sexe dûment mariés selon la loi des Etats ne sont pas constitutionnelles. Le statut constitutionnel de l'interdiction faite par certains Etats (qui ont compétence souveraine en matière de droit de la famille) aux couples de même sexe de se marier n'est en revanche pas réglé. 

J'ai le sentiment que la Cour a choisi de régler la question la plus simple. En matière de constitutionnalité substantielle, évidemment, il n'y a pas de cas clairs; une déclaration d'inconstitutionnalité est clairement une décision. Cependant, il me semble que le caractère inconstitutionnel de DOMA est plus avéré que celui de la Proposition 8. Bien que je sois partisan du "mariage pour tous", je ne crois pas que son interdiction soit clairement inconstitutionnelle (je pense que, par le passé, le Conseil constitutionnel a eu pleinement raison de refuser de se substituer à l'appréciation du législateur sur ce sujet, et il ne me semble pas qu'il y ait plus à chercher là-dessus dans la Constitution américaine que dans la Constitution française). L'ouverture du mariage aux couples de même sexe est clairement une question d'opportunité, comme disent les juristes, et Dieu sait qu'il est opportun de le faire aujourd'hui. Déclarer la proposition 8 inconstitutionnelle donnerait inutilement du grain à moudre à ceux qui rebattent l'idée éculée selon laquelle la Constitution est ce que les juges disent qu'elle  est.

Plutôt que de faire une confiance excessive aux juges, il faudrait peut-être élire des législateurs intelligents. 

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