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samedi 28 avril 2012

J'aimerais qu'on m'explique

Résumons: un policier tire sur un individu, l'individu meurt, les premiers éléments de l'enquête montrent que la balle a atteint ledit individu dans le dos, mise en examen pour homicide volontaire (qui ne préjuge d'ailleurs pas de la qualification finale opérée par le juge), bronca, soutien prudent ou outrancier (c'est selon) des candidats à la présidentielle aux policiers en colère, sans parler évidemment de la présomption d'innocence, qui serait bafouée (?). Sur ce dernier point, il convient de rappeler qu'une mise en examen n'est pas une condamnation, et que ledit policier est toujours présumé innocent. 

Plusieurs points requièrent notre intérêt, et, à vrai dire, notre perplexité. 
1° La "présomption de légitime défense" (qui permet au Front national, une fois de plus de dicter les termes du débat politique en France) -- ci après PLD.

Une présomption est une règle d'attribution de la charge de la preuve. De manière générale (sauf dans quelque cas prévus à l'article 122-6 et sous réserve des dispositions spéciales applicables aux militaires), la légitime défense ne se présume pas: elle doit être prouvée par celui qui s'en prévaut. Elle est même dira-t-on réputée non prouvée dès lors que l'accusé ne s'en prévaut pas (le ministère public ne doit pas, en plus d'apporter les éléments de preuve à charge, prouver de surcroît que l'accusé n'était pas en état de légitime défense). -- C'est d'ailleurs un point très intéressant de philosophie du droit auquel H.L.A Hart a consacré un article célèbre en 1948-49. 

Il y a grosso modo deux sortes de présomptions: des présomptions simples et des présomptions irréfragables. Les présomptions simples sont celles qui peuvent être renversées par la preuve du contraire; les irréfragables, objet curieux, et à vrai dire, peu répandu de notre droit, sont celles qu'aucune preuve, même éclatante, ne peut renverser. 

Les partisans de la PLD pour les policiers ne peuvent sérieusement envisager qu'elle soit irréfragable, ce qui constituerait un véritable permis de tuer pour les policiers. Qu'apporterait une présomption simple ? Un renversement de la charge de la preuve, puisqu'il reviendrait au ministère public de prouver non seulement que le policier a bien tué M. X ou Y, mais que de surcroît il n'était pas en état de légitime défense. Ce qui, dans une espèce telle que celle-ci, ne changerait rien : 1° les présomptions interviennent au stade du procès, et ne constituent nullement un obstacle à la mise en examen (sinon, la présomption d'innocence empêcherait toute mise en examen!) ; 2° surtout, s'il était avéré au cours du procès que le policier a tué l'individu alors que celui-ci prenait la fuite, il y aurait là un élément de preuve suffisant pour renverser toute présomption simple de légitime défense. 

(voir le post récent de Maître Eolas sur la question pour plus de détails techniques)

2° La question du traitement du policier. On parle "d'insécurité juridique" des policiers mis en examen pour homicide volontaire. Il s'agit d'une usurpation de l'expression (qui désigne comme chacun sait le fait que des règles différentes soient appliquées à des cas similaires, nullement le fait qu'à cause d'une décision de justice certaines conséquences désagréables s'ensuivent pour les intéressés). C'est à vrai dire une question de droit disciplinaire, ce dont le juge au pénal n'a pas à se soucier. Si le ministère de l'intérieur décide de maintenir le traitement dudit policier, il m'étonnerait fort qu'il se trouve un justiciable assez zélé pour aller contester cette décision devant la juridiction administrative (dont il m'étonnerait d'ailleurs qu'elle juge la requête recevable). Il est vrai cependant que le respect de la présomption d'innocence (et non pas d'une quelconque PLD) devrait inciter à un assouplissement des règles disciplinaires en matière de maintien de traitement des fonctionnaires mis en examen. Mais encore une fois, on ne peut reprocher au juge d'avoir mis en examen ce policier au motif que le malheureux se retrouverait sans salaire. Toute mise en examen entraîne des conséquences (financières, sociales, familiales, etc.) pour ceux qui sont mis en examen; je ne vois pas pourquoi il y aurait lieu de s'émouvoir de cette situation particulière. 

En fin de compte, persiste l'idée que le "policier a fait son devoir" et que le (méchant) droit le persécute. Or c'est le procès, et seulement lui, qui déterminera si le policier a réellement fait son devoir. Mais il semble que certains syndicats soient prêts à se ranger à l'idée selon laquelle, quoi que fasse un policier (y compris lorsqu'il forge un faux en vue d'obtenir la condamnation à perpétuité d'un prévenu), il devrait jouir d'une impunité liée à l'honneur et au prestige de sa fonction. Or, jusqu'à preuve du contraire, les policiers sont des justiciables comme les autres, et leur fonction même devrait les prémunir contre toute tentation de se mettre au dessus des lois qu'ils ont pour objectif de servir. 

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