Je ne veux pas prendre position sur le fond du débat (encore que j'y sois obligé), simplement relever un point problématique dans le discours des opposants à la fameuse "homoparentalité". On nous dit qu'un enfant a besoin d'avoir un papa et une maman. Donc, si je comprends bien, les cas suivants ne sont pas acceptables :
- un enfant perd son papa (ou sa maman); il n'a donc plus son papa ET sa maman. Il faut donc l'arracher des mains du conjoint survivant, car être élevé par son seul papa (ou sa seule maman) est délétère pour son développement.
- un(e) célibataire adopte un enfant, ou recourt à une banque de sperme, etc. Idem ?
- le père biologique décide de ne pas reconnaître l'enfant, et la maman l'élève seule. Idem ?
- papa et maman se séparent, parce que papa (ou maman) décide vivre avec une personne du même sexe. L'enfant doit-il être interdit de passer du temps avec lui (ou elle) ?
Et ainsi de suite. En réalité, ce qui sous-tend le discours du papa-maman, c'est non pas l'idée qu'il est essentiel à un enfant d'avoir un papa et une maman, mais qu'il soit essentiel à l'enfant de savoir que papa (ou maman) sont bien hétérosexuels ! Le problème n'est pas qu'un enfant ait deux papas ou deux mamans, mais que papa aime les hommes (ou maman aime les femmes) ! Autrement dit, sous prétexte de protéger le développement de l'enfant, on ne fait que supposer qu'il partage ses propres préjugés. Or, si l'enfant peut souffrir de ce que son papa aime les hommes, c'est uniquement en raison des préjugés qui ont encore cours dans la société. C'est par conséquent ceux qui prétendent défendre le bien-être de l'enfant qui contribuent à lui faire du tort.
Un des arguments développés contre "l'homoparentalité" pointe que, par définition, l'un des deux "parents" n'est pas le père ou la mère biologique. Mais alors, faut-il interdire l'adoption ? L'accouchement sous X ? De même, dans les familles recomposées (suite, par exemple, au décès de l'un des parents), il arrive très fréquemment que celui qui exerce, de fait, l'autorité parentale ne soit pas le géniteur biologique de l'enfant. Bref, tout ceci repose sur l'idée que la famille (comme entité juridique et, d'ailleurs, comme entité morale) se ramène au seul lien biologique. On sait, au moins depuis le droit romain, qu'il n'en va pas ainsi.
Il existe des familles "homoparentales". C'est un fait. Que l'autre géniteur biologique soit ou non présent dans la vie de l'enfant est quelque chose de purement contingent, et dépend des situations particulières, de même qu'un enfant adopté par une famille "hétéroparentale"peut ou non connaître ses parents biologiques, et de même qu'en cas de famille recomposée, l'enfant peut (ou non) connaître l'un de ses géniteurs biologiques. Qu'un enfant ait besoin d'être entouré par des personnes des deux sexes, c'est sans doute quelque chose d'indéniable. Mais ce n'est pas parce que quelqu'un est homosexuel qu'il ne fréquente aucune personne du sexe opposé ! Un enfant élevé par des lesbiennes ne vit pas dans un gynécée permanent : il a des grands-pères, des oncles, des cousins. Ses mamans ont des amis, des collègues, des voisins. Et ainsi de suite.
Dès lors il y a deux manières pour le droit d'envisager une situation de fait telle que les familles homoparentales : 1° soit on considère que c'est quelque chose qui est foncièrement de nature à nuire à l'intérêt de l'enfant, et alors il faut le pénaliser. Soit un retour en arrière de cent ans, et cela alors qu'à notre époque les orientations sexuelles ne supportent plus d'être rigidifiées en étiquettes immuables. S'il est interdit aux homosexuels d'avoir des enfants, comment va-t-on déterminer qu'un individu est homosexuel ? On va s'introduire dans les chambres à coucher ? 2° soit le droit accompagne l'évolution de la société : il y a des familles à deux papas ou deux mamans qui ont besoin d'un cadre juridique (en matière d'autorité parentale, de successions, etc.). C'est non seulement l'hypothèse la plus souhaitable moralement et politiquement, mais c'est également la plus réaliste et la moins coûteuse.